La complexité du langage juridique n'est plus à démontrer, avec un niveau de technicité élevé et truffé d'expressions latines ou d'autres manifestement archaïques, de termes ambigus ou encore quasi-identiques répétés de manière constante... Devant un tel panorama, il convient aujourd'hui de se demander s'il est possible -et souhaitable- de moderniser celui-ci.
En observant le langage juridique employé dans le monde anglo-saxon et en particulier la terminologie utilisée dans les contrats nord-américains, l'absurdité de tant de verbiage inutile saute aux yeux. De plus, en de multiples occasions, cela nous embrouille plus qu'il nous éclaire. C'est de ce constat qu'est naît de l'autre côté de l'Atlantique un mouvement dénommé « Plain Language Movement», qui milite pour minimiser l'usage du « legalese », le jargon juridique. Celui-ci n'est plus considéré aujourd'hui comme un simple mouvement, se convertissant en un véritable commerce, une industrie, étendant son influence au secteur public et à la politique.
Initialement, l'argument en faveur de l'usage du « plain language » (« langage simple ») et d'un langage juridique plus clair, était perçu comme un instrument qui apporterait des bénéfices à la société, car il contribuerait à faciliter l'accès des citoyens à la justice et donnerait la possibilité aux consommateurs d'être mieux informés. Son ascension est imparable et il fait de plus en plus d'adeptes chez les professionnels du secteur juridique, et même chez certains Juges et Magistrats nord-américains.
On peut facilement se faire une idée de son impact: des consultants et des formateurs instruisent au sujet du « plain language » dans des facultés de Droit et des organismes fédéraux, un grand nombre de cabinets d'avocats incorporent des techniques de rédaction « simples », et la propre « Security & Exchange Commission » (« SEC ») -organisme qui régule le marché des valeurs aux Etats-Unis-, a approuvé une réglementation avec des exigences précises en ce qui concerne l'utilisation d'un langage clair.
Les principaux défenseurs de ce mouvement appellent à la simplicité; celui qui emploi la terminologie juridique ne doit pas uniquement s'adresser à d'autres avocats ou juristes mais aussi à des personnes novices en Droit. Ils argumentent que, s'il est certain que les termes techniques (« terms of art ») sont propres et identifient une profession bien déterminée, il faut aussi convenir que le langage évolue et doit s'adapter à notre époque.
Pour mentionner quelques exemples du « legalese » dans les pays anglo-saxons et les systèmes juridiques de « common law », je ferai en premier lieu référence à l'usage d'une multitude de locutions adverbiales désuètes (exemple Aforesaid, herein, henceforth, thereto, thereon...), qui sont facilement remplaçables par des adverbes équivalents. De la même façon, dans les pays qui ont un système juridique de Droit Civil nous pourrions nous passer de certaines expressions éculées. Celles-ci, malgré la transformation et la simplification du langage, continuent à faire partie du vocabulaire de nombreux professionnels du Droit, -parfois contraints de les employer dans certaines occasions-, mettant ainsi en exergue la rigidité et l'immobilisme du langage juridique.
De plus, les détracteurs du jargon juridique outre Atlantique sont partisans de limiter l'usage des phrases subordonnées et des constructions à la voix passive. Ils préconisent plutôt l'emploi de phrases simples et de préférence à la voix active. Par chance, l'auxiliaire «shall » servant à exprimer l'obligation est aujourd'hui tombé en désuétude -du fait de son ambigüité- et a été remplacé par «must ».
Si les longs paragraphes, clauses ou autres dispositions interminables rendent franchement difficile la lecture pour les avocats étrangers et les traducteurs juridiques, il en va de même pour les propres avocats anglo-saxons qui parfois peine à suivre sans perdre le fil. L'objectif est donc aussi d'éviter les termes ou autres expressions redondantes lorsque leur signification apparaît clairement plus avant.
Une autre particularité du langage juridique réside dans l'emploi d'expressions latines utilisées de manière abondante dans les actes judiciaires et les jugements. Il est évident que l'on peut se passer de, par exemple, « ab initio », « de lege ferenda », « erga omnes », « inter alia », « prima facie », etc. La majeur partie pouvant être remplacées sans hésitation, par le terme ou l'expression correspondante dans la langue en question.
Là où l'on constate le plus l'archaïsme et le conservatisme du langage juridique
est dans une myriade de documents publics: législation et réglementation
(générale), actes administratifs (particuliers), communications ou
résolutions de l'Administration Publique, actes notariés, actes de
procédure, jugements... Ceux-ci, pour la majeur partie destinés aux citoyens,
devraient en toute logique être
facilement compréhensibles, sans qu'il soit nécessaire d'inclure des termes
superflus ou d'insister dans l'utilisation de mots techniques dépourvus de
valeur.
Le Jargon juridique oui mais sans en abuser! Pourquoi
compliquer et rallonger un texte juridique de façonartificielle et
indéfinie lorsque l'on
peut exprimer exactement
la même chose
d'une façon beaucoup
plus simple? L'avocat
représente son client et doit donc s'efforcer de mettre en place une
communication Claire et nette, sans ornements ni fioritures excessives, aussi
bien dans l'expression orale qu'écrite.
Que ce
soit imposé par
une norme comme
aux EtatsUnis, avec
la « SEC
» ou par
libre choix du professionnel comme
dans de nombreux
cabinets d'avocats nordaméricains autant
le législateur qui élabore une norme, le Juge qui fournisse
la motivation d'un arrêt, l'avocat qui écrit une opinion juridique, rédige un
contrat ou une plainte, tous devraient préserver, d'une part la singularité et
la richesse du langage juridique, et d'autre part, dans la mesure du possible,
obtenir la compréhension du public en général. Ce ne sont pas deux notions
forcément incompatibles.
Il serait
souhaitable que le professionnel du Droit apporte une note de fraîcheur et garde son style propre,
montrant son habileté à la rédaction. En conjuguant originalité et
correction grammaticale, syntaxique et sémantique, l'avocat ou le juriste a
assez de liberté et de ressources linguistiques sur lesquelles s'appuyer sans
être obligé de toujours s'en tenir
à un modèle pré-établit.
Beaucoup souhaitent que ce courant de modernisation du
langage juridique né aux Etats-Unis, continue à prendre de l'importance et
étende son influence en Europe. Ce serait très certainement apprécié par
tous, en particulier par les citoyens lambdas, qui se sentiraient plus proches
de ses représentants légaux, auraient plus confiance en eux et, en
définitive, améliorerait l'image de ceux-ci.
Comme toujours, les tendances anglo-saxonnes finissent par
laisser leur empreinte sur le reste du monde. Pour l'instant, il existe différents pays
(Australie, Nouvelle Zélande , Canada , Grande Bretagne , Afrique du Sud) où plusieurs
cabinets d'avocats ont déjà intégré le «langage simple» dans leurs
relations avec les clients.
Comme
l'anglais est la langue utilisée dans le commerce à l'échelon mondial et que
les transactions internationales ne cessent d'augmenter, je prévoie, sans nul
doute, que nos collègues nord-américains seront à la tête d'un mouvement qui dépassera les
frontières. Je pressens un vent de changement qui finira par s'étendre
au langage juridique d'autres pays.